Le feuilleton radiophonique : un genre tour à tour adulé et décrié.
Trop populaire, disent les uns, trop soumis à la loi un peu simpliste du récit linéaire pour pouvoir être porteur de significations riches.
Une forme éminente du langage radiophonique, disent les autres, dont la force de suggestion reste évidente pour le public malgré l’âpre concurrence des séries télévisées.
 
Et s’il y avait des récits qui ne soient pas que des récits ?
 
Nous, les auditeurs, et notre besoin qu’on nous raconte des histoires - des histoires avec leur début, leur déroulé, leurs accélérations et leurs ralentissements, leurs acteurs, leur fin...
Et, simultanément, nous ne disons pas non si le récit nous réserve des surprises, s’il livre des clés pour répondre à un besoin plus profond, à notre pulsion de déchiffrer les grandes énigmes de notre existence : la vie et la mort, le sexe et l’amour, le pouvoir et la soumission, la richesse et le dénuement...
 
Le Cercle mauve a cette prétention.
 
C’est un récit de fiction, même si des événements de l’actualité sont inextricablement mêlés à l’histoire. Il offre par surcroît des matériaux-signes pour le questionnement, l’imagination, la méditation. Déjà le redoublement de son rythme (textuel et sonore) invite à une double écoute...
 
Le Cercle mauve est structuré à partir de 4 niveaux de problématiques et de personnages qui se croisent et interfèrent les uns sur les autres parfois très longtemps après le commencement de la série.
 
La relative complexité du feuilleton a été mise en ondes selon un découpage en épisodes longs (45 minutes) et dès lors un rythme hebdomadaire de diffusion. Ces épisodes ont été construits comme des ensembles relativement autonomes.
 
 
 
LE CERCLE MAUVE : EXPLICATION “EN CLAIR”
 
Le Cercle mauve, c’est un tableau de Wassily KANDINSKY, lequel, comme on le sait, a joué un rôle décisif pour libérer la peinture de ses statuts de figuration et de représentation des apparences du réel et pour donner son autonomie à une création picturale objective, exempte de subjectivisme.
 
Mais le Cercle mauve est un faux : ou, plus exactement, il n’a jamais existé que dans l’imagination et les cartons de l’auteur du feuilleton, à partir d’un amalgame de diverses compositions de Kandinsky.
 
L’histoire du Cercle mauve est celle d’un tableau qui a échappé à l’inquisition nazie visant l’art dit dégénéré  grâce à la présence d’esprit d’un militant antifasciste. Celui-ci, communiste anti-stalinien, percevait les oeuvres d’art comme autant de signes de la construction possible d’un monde autre. Il avait réussi à s’emparer du tableau (et de quelques autres) pour les cacher dans le domaine d’Auriac, une propriété appartenant à l’un de ses amis, le Prince Sylvestre (considéré par sa famille comme mentalement dérangé). Celui-ci hériterait des tableaux si, par malheur, notre militant devait succomber sur le front de la résistance - ce qui arriva.
 
Le Prince Sylvestre, au crépuscule de sa vie,  décida que la collection de tableaux ne pouvait échoir à son auguste famille. Il imagina un stratagème. Il enfouit le Cercle mauve et les autres travaux sous un parterre d’anémones mauves situés dans son parc - un parc très étrange qu’il avait fait structurer et aménager de telle sorte qu’il reproduise en échelle les formes et les couleurs du tableau de Kandinsky.
Le Prince Sylvestre rédigea alors un message énigmatique qui devait permettre à celui qui saurait le déchiffrer de découvrir la cache des tableaux. Il dissimula le message dans un ouvrage ardu sur l’art abstrait qu’il céda à un libraire et qui ne pourrait intéresser qu’un grand passionné de l’art moderne.
 
C’est à la foire du livre de Redu que Laurent découvrit l’ouvrage et l’énigme qu’il contenait.
Laurent est un artiste tortueux, nourri de références philosophiques, chômeur, gérant comme il le peut les traces indélébiles que le mouvement contre-institutionnel des années septante a imprimées en lui.
Laurent ne peut comprendre immédiatement toute l’énigme, mais, grâce à l’intervention de la mystérieuse Mme Outremer (la dernière maîtresse du Prince Sylvestre), il en sait assez pour décider de se rendre dans le domaine d’Auriac situé à proximité de Nouillac (petite ville quelque part au sud de la Loire) et actuellement à l’abandon.
 
Laurent veut tenir secrète sa décision. Sa pulsion est telle qu’il prend congé sans explication de sa compagne, Catherine - qui l’admire et l’adore bien davantage que lui ne l’aime. Leur distanciation de quelques semaines nous vaudra la lecture d’une correspondance fournie qui, notamment, révèle et alimente l’inégalité de sentiment qui caractérise leur relation. Occasion rêvée pour développer des réflexions sur l’amour, sa fantasmagorie, ses éclipses et ses ruses, sur la possessivité, la jalousie...
 
D’autres protagonistes vont débarquer dans le domaine d’Auriac, perturbant Laurent dans ses recherches longtemps infructueuses et toujours secrètes.
 
Il y a d’abord Mr. Van de Van, hommes d’affaires, que l’on pourrait croire, au vu de certaines de ses excentricités, être la copie conforme du député Van Rossem. Mais l’image de Mr. Van de Van s’affermit différemment. Self made Man, devenu président de la société polyvalente Omnivor  (sensée sponsoriser le feuilleton, d’où le pastiche de multiples clips publicitaires), Mr. Van de Van apparaît n’investir que pour produire sans cesse de nouveaux produits - cela au gré de ses envies et de son plaisir. Fidèle à ses origines laborieuses, il reste avant tout entrepreneur, préférant la logique du capitalisme industriel à celle du capitalisme financier. Il s’avère apôtre infatigable d’une société de consommation au 2me degré, alchimiste de la transformation d’objets en symboles et des symboles-objets en marchandises. Le feuilleton ne résiste pas à la tentation d’égréner la description de nombre de produits épinglés dans le marché actuel (et virtuel) pour les attribuer à l’esprit inventif de Mr. Van de Van (qui n’est pas loin de se considérer comme une sorte d’artiste).
 
Mr. Van de Van achète au roi Ivan le domaine d’Auriac, en échange de quelques voitures de luxe dont le monarque est friand. Son intention est d’en faire un lieu d’expérimentation de la nouvelle invention sortie de son laboratoire secret : le VDV 1. Cette machine top-technology  permet d’insufler des programmes de comportement inattendus aux individus soumis à son rayonnement. Et, en ceci, se révèle une nouvelle facette de la personnalité de Mr. Van de Van. Il déteste la politique et les politiciens, mais veut devenir une sorte de despote éclairé grâce à une stratégie de pouvoir scientifique,  située entre la stratégie de la persuasion et la stratégie de la répression. Le VDV 1 n’est encore qu’un outil rudimentaire par rapport à la future invention qui lui permettra de faire le bonheur des humains  pour ainsi dire à leur insu, mais avec leur consentement (programmé).
 
Les sujets sur lesquels Mr. Van de Van va expérimenter son engin, le VDV 1, seront les nonnes d’un couvent dont la supérieure est l’une de ses parentes. L’apparition de nonnes dans le feuilleton résulte d’un traitement particulier d’une réalité d’actualité. On se rappellera sans doute l’histoire des pauvres claires  de Bruges qui ont défrayé la chronique en 1990 lorsqu’elles vendirent très cher leur couvent traditionnel pour acquérir un château dans le sud de la France où elles avaient l’intention de passer leurs vieux jours.
 
Dans le Cercle mauve, la motvation pour cette transplantation résulte d’un long processus de réflexion critique chez les nonnes. Cette réflexion se polarise autour des composantes les plus importantes de la vie religieuse : pauvreté, obéissance, chasteté et vie commune. En finale, les valeurs et les significations positives de leur engagement leur semblent désormais trahies, perverties, ridiculisées dans la mesure où elles sont vécues dans le contexte archaïque et répressif de la vie religieuse telle qu’organisée et contrôlée par l’Eglise catholique. Petit à petit se creuse chez les nonnes le désir de vivre de manière authentique - et aussi en dehors de l’environnement urbain - les valeurs auxquelles elles croient... Les voilà prètes à tomber dans le piège tendu par Mr. Van de Van, les voilà prètes à vendre leur couvent et à déménager dans le domaine d’Auriac, les voilà prètes à faire la rencontre de Laurent dont l’aspiration à un monde autre  - totalement différent e leur imaginaire religieux - va néanmoins renforcer leurs nouvelles sensations.
 
Par rapport à une société dominée par les rapports de pouvoir et d’argent, induisant des comportements d’individualisme forcené et de refoulement féroce du désir, le Cercle mauve apparaît comme le signe d’un monde autre, où objets, références, relations, intervalles, forces, rythmes, couleurs... se structurent autrement, de manière autonome, libérés de dépendances idéologiques. Dans le feuilleton, sans le dire ou l’expliquer, des protagonistes cherchent ce monde autre, l’expérimentent souvent d’ailleurs avec beaucoup de naïveté.
 
Mais voici qu’apparaissent des représentants de ce monde autre : ce sont les extraterrestres qui se sont intéressés à la planète terre précisément parce qu’ils se sont reconnus dans le signe : la figuration à gande échelle du Cercle mauve de Kandinsky qu’incarne le parc d’Auriac. Leur présence est très discrète, peu perceptible. On imagine qu’ils observent avec attention les différentes implantations de comportement  - encore très anecdotiques - que provoque le VDV 1  (comme par exemple la perception d’une ligne de chemin de fer grande vitesse en pleine campagne désolée, la transformation de la gare centrale de Bruxelles en gigantesque dancing, la transformation des nonnes en animaux sauvages...). Les extraterrestres ne vont sortir de leur discrétion qu’au moment où l’engin de Mr. Van de Van, à l’insu de ce dernier, entraînera les nonnes à psalmodier leurs prières dans leur langue à eux : et cela ils ne peuvent (encore ?) le permettre. Ils anéantissent le VDV 1 et plongent Mr. Van de Van dans un coma qui ressemble à la mort.
 
Les derniers épisodes du Cercle mauve se déroulent dès lors dans une atmosphère d’enquête policière. Le commissaire Pantagruel s’acharne sur Laurent (qui avait proféré des menaces de mort à l’égard de Mr. Van de Van suite à un échange de vue agité sur la conception de l’art), puis le relaxe suite à l’intervention des nonnes et faute de preuves. Soeurs Chromatique et  Madeleine (qui s’aiment d’un amour lesbien) sont informées par les extraterrestres des causes du malheur de Mr. Van de Van. Et tandis que ce dernier se remet lentement de son coma, un envoyé spécial du Vatican, Mgr Marteau, interroge les nonnes sur leurs déviances. Il leur accordera un répit de 6 mois avant de prononcer sa sentence. Enfin, grâce à l’entremise de la toujours mystérieuse Mme Outremer, Laurent découvrira (avec la complicité de soeur Alice) la cachette des tableaux...
 
Nous ne pouvons omettre de signaler que l’écriture du Cercle Mauve s’est élaborée à l’époque de la guerre du Golfe. L’auteur n’a trouvé l’énergie de poursuivre le récit qu’en y intégrant l’actualité du conflit (extraits de journaux télévisés, dialogue de nonnes dans l’ambiance des manifestations de rue contre la guerre, commentaires de différents protagonistes, invention d’objets rentables par Mr. Van de Van dans le contexte de la guerre...). Après coup, ces diverses notices ont acquis une valeur de sorte de mémoire historique (on a oublié si vite ses sensations du moment lors du déroulé de la guerre).
 
Mentionnons encore qu’une sorte de maître du jeu, le personnage X, introduit les différents épisodes et accompagne les ébats de tous les protagonistes. Il n’hésitait pas à intervenir, à de multiples reprises, pour développer des idées plus ou moins folles et distiller le récit de faits divers, authentiques ou fictifs, mais toujours significatifs par rapport au propos du feuilleton.
 
Le personnage X est lui-même une énigme : toutes les facettes de son problème d’identité qu’il développe souvent de manière très narcissique doivent amener l’auditeur perspicace à saisir que ce personnage énigmatique n’est rien d’autre qu’un billet de 1000 BEF ! (d’où l’annonce de ses apparitions par une ritournelle puisée dans l’oeuvre de Grétry).
 
 
LA DISPARITION DU CERCLE MAUVE
 
FICTION DRAMATIQUE EN 17 ÉPISODES
 
Des nonnes de Bruges ont vendu leur monastère à l'insu de leurs autorités et se sont installées dans le château d'Auriac, près de la ville de Nouillac. Laurent, peintre qui philosophe quand il peint et également quand il ne peint pas, a découvert à Auriac le Cercle mauve, un tableau jusqu'alors inconnu de W. Kandinsky.
 
Une série de disparitions d'objets, d'animaux et de personnes bouleversent la ville de Nouillac. Les extraterrestres prévoient l'imminente disparition du Cercle mauve, ce qui provoquerait des conséquences incalculables pour l'avenir de l'humanité.
 
Le commissaire Pantagruel mène l'enquête. Il y a plusieurs suspects. Monsieur Van de Van, l'entrepreneur mégalomaniaque, cherchant sa revanche. Les artisans d'une nouvelle radio locale, Radio Lucifer. Laurent, devenu fou, qui mène la danse dans l'étrange clinique Orange. Des gardes privés ceinturant la forteresse des "vieux" Gorane. Chromatique, la soeur éclatée, perpétuelle séductrice. Et d'autres encore...
 
C'est dans ce climat d'insécurité que la notable Madame Bonpain se présente comme candidate aux élections municipales. Son adversaire sera Dame Laetitia, la supérieure des nonnes, soutenue par le gentil Ecotaxe.
 
Les méandres du récit permettent de décliner les thématiques de la fiction : l'un et le multiple, le corps sans organes, les organes du corps, le corps en objets partiels, le corps émietté, le corps marchandise, le corps fascisé, le corps ovoïde, le corps transfiguré... Le corps social : l'insécurité symptôme d'une systémique en déliquescence et les signes partiellement encore inconnus d'une nouvelle systémique.
“Le Cercle mauve...mêle de manière ludique la philosophie, les considérations sur l'esthétique, les réflexions sur le pouvoir, l'amour, la sexualité et l'utopie sociale. La création radiophonique réinvestit une forme populaire, tout en lorgnant vers les ambitions les plus hautes, qui ne sont pas sans rappeler la manière de faire d'un Umberto Eco pour Le Nom de la Rose...” (Richard Kalisz)
 
Du point de vue de la forme, La Disparition du Cercle mauve se démarque du style des dramatiques classiques en s'inscrivant plutôt dans le sillage d'une certaine forme de radio-art.
 
Les rôles sont interprétés par des comédiens amateurs, ceci, certes faute de moyens, mais aussi dans l'esprit de logique associative animant le producteur et le réalisateur.
 
LE CERCLE MAUVE : 
18 épisodes d’environ 45’
Texte, prise de son extérieure, réalisation : Marcel XHAUFFLAIRE
Prise de son en studio, mixage et gravure sur CD : Trixtudio
Les personnages sont joués par des animateurs de Radio PANIK et des comédiens amateurs
Support originel : bande magnétique 1/4 pouce, type Agfa PER528, sur noyau AEG, 2 pistes, stéréo, vitesse 38cm/sec. Copies sur CD, cassettes audio, chrome ou normal, stéréo.
Production : asbl Le Crayon libre
(ùradio Panik), 1991 avec l’aide de la Communauté Française de Belgique.

Titre et durée des épisodes :
1 LA VIE EST DURE ET LA TERRE EST LOURDE                                         42’48”
2  LES YEUX QUI S’USENT               44’09”
3  DéCIBELS SUR TABLE                  44’23”
4  LE CHAT DANS LE CHAUDRON   44’05”
5  NE SOYEZ PAS LE SAINT-JUST DE VOS SENTIMENTS !                                45’20”
6  L’ARTISTE EST ABSENT              44’24”
7  LE PARC FOU                             44’59”
8  L’HOMME DE CRO-MAGNON ET LE TROISIèME MILLéNAIRE                 44’47”
9  LE BUREAU DE CHANGE éTAIT FERMé OU LES VIERGES FOLLES              44’59”
10 C’EST à CAUSE DU CLIMAT !     45’16”
11 LA PASSIFLORE                         45’04”
12 HISTOIRES DE COCHONAILLES  44’58”
13 LA LIGNE DE CHEMIN DE FER éTAIT DéSAFFECTéE                               45’36”
14 LE VENT EST LA CONSOLE DU CIEL
 44’36”
15 DES BONHEURS VOLéS              43’01”
16 PAS DE QUOI  FOUETTER UN CHAT
44’42”
17 SOUS LE PARTERRE D’ANéMONES MAUVES                                         45’26”
18 BRAVO LES AUDITRICES ET LES AUDITEURS !                                  45’28”http://www.radiopanik.org/spip/shapeimage_2_link_0
 
Titre et durée des épisodes :
 
1    PRÉLUDE                                                                                
2    DISPARITION DE LÉGUMES                                                    
3    DISPARITION DU CHIEN DE LUCIE                                      
4    DISPARITION DES RONGEURS                                                
5    DISPARITION DU DESSERT                                                    
6    DISPARITION DE LA RAISON DE LAURENT                              
7    DISPARITION DE LA CONVIVIALITÉ                                      
8    DISPARITION DES IDENTITÉS                                                  
9    DISPARITION DU VENDEUR D'ORGANES DE CIRE              
10    DISPARITION D'ALICE                                                            
11    INTERLUDE : LA CLINIQUE ORANGE                                      
12    INTERLUDE : LA RADIO DU SOMMEIL                                    
13    DISPARITION DE PANTAGRUEL                                            
14    ORGIE D'ORGANES
15       L'EMBALLAGE DU CERCLE MAUVE
16    DISPARITION DU MYSTERE                                                  
17   LE CERCLE MAUVE EN FLEUR                                      
La disparition du Cercle mauve est une production de l'asbl Le Crayon libre
(radio Panik), 1996.
Avec le soutien du Fond s d'aide à la création radiophonique du Ministère de la Culture de la Communauté française de Belgique.
Écriture, script et réalisation : Marcel Xhaufflaire.
La S.A.C.D. a conféré à Marcel Xhaufflaire en 1996 une bourse d'encouragement à la création radiophonique.
Prise de son hors studio : Xavier Jacques.
Prise de son studio (Media Animation), mixage, montage et gravure : Trixtudio.
    
La Disparition du Cercle mauve de même qu'une séquence de présentation (durée : 29') sont disponibles sur support CD.
 
33’37”
32’06”
34’40”
28’39”
37’12”
35’05”
35’26”
34’41”
29’53”
34’42”
34’41”
43’46”
26’32”
31’35”
34’04”
34’50”
38’14”